Publié le Lundi 6 mai 2024 à 12h00.

Kanaky, en finir (vraiment) avec le temps des colonies !

« Il est aujourd’hui nécessaire de poser les bases d’une citoyenneté de la Nouvelle-Calédonie permettant au peuple d’origine de constituer avec les hommes et les femmes qui y vivent une communauté humaine affirmant son destin commun. […] Dix ans plus tard il convient d’ouvrir une nouvelle étape marquée par la pleine reconnaissance de l’identité Kanak, préalable de la refondation d’un contrat social entre toutes les communautés qui vivent en Nouvelle-Calédonie, et par un partage de souveraineté avec la France sur la voie de la pleine souveraineté ». Préambule des accords de Nouméa signés en 1998 par le FLNKS,  la droite coloniale et l’État français.

Alors qu’une loi constitutionnelle réaffirme le projet colonial en Kanaky, il est plus qu’urgent de s’opposer aux manœuvres de l’État français contre le peuple kanak et de faire vivre la solidarité. Retour sur un combat pour l’autodétermination et l’émancipation… qui continue. 

Lorsque la France prend possession de Kanaky en 1853, l’archipel est habité par un peuple de dizaines de milliers de personnes vivant sur ces terres depuis 3 000 ans, avec sa culture, son économie, son organisation sociale. La répression et les massacres des Kanak s’opposant aux spoliations foncières, les maladies mettront en danger la survie du peuple kanak. Confiné dans des réserves, le peuple kanak utilise ces espaces pour reconstruire son organisation sociale, son économie, sa vie culturelle et… politique.

Les luttes anticoloniales, les mouvements de libération nationale en Algérie, au Vietnam, à Cuba… trouvent un écho dans la population. Des prêtres, des séminaristes (Tjibaou, Machoro…) quittent l’église, des étudiants en France participent à Mai 68 et nouent des relations avec des militants anticolonialistes de tous les continents.

La politique de colonie de peuplement de l’État français

Inquiet de cette politisation et des premières actions et revendications indépendantistes, l’État français décide en 1972 de s’engager dans une politique de peuplement en encourageant l’installation de Français. Les Kanak sont alors majoritaires dans la population.

En 1981, lorsque Mitterrand et la gauche accèdent au pouvoir, le peuple kanak ne représente plus que 40 % de la population. Mais l’heure est à l’espoir. Le droit inné et actif du peuple kanak à l’indépendance est inscrit dans le Programme commun. Une partie minoritaire de colons européens accepte de former un gouvernement local présidé par Jean-Marie Tjibaou. La majorité de la droite coloniale se radicalise, et dénonce un abandon par l’État. Ses membres s’identifient aux pieds-noirs d’Algérie (victimes de l’abandon de l’Algérie par De Gaulle), soutiennent les afrikaners d’Afrique du Sud. Des armes circulent, des barbouzes (dont de nombreux ex-OAS) sont recrutés, des milices se forment. En 1983, l’Assemblée territoriale est prise d’assaut, des élus indépendantistes tabassés. L’État ne réagit pas : il prépare un nouveau statut. En 1984, l’État présente son projet de statut, avec à la clé de nouvelles institutions, une réforme foncière, une plus grande autonomie. Problème, la Constitution française ne reconnaît qu’un seul peuple au sein de l’espace français : le peuple français composé d’hommes et de femmes libres et égaux en droit. Ainsi tout métropolitain de passage ou venant d’arriver a les mêmes droits qu’un Kanak pour décider de l’avenir de l’archipel. À l’Assemblée nationale, les députés de gauche, majoritaires, repoussent les amendements déposés par le seul député kanak… La politique de peuplement peut se poursuivre.

 

De la création du FLNKS aux accords de Nouméa

Condamné à devenir une petite minorité dans son propre pays, le peuple kanak se radicalise. En septembre 1984, le FLNKS (Front de libération nationale kanak et socialiste) est créé, et un gouvernement provisoire est formé. Le 18 novembre, jour des élections aux nouvelles institutions, c’est le début de l’insurrection, Éloi Machoro brise l’urne de son village à coups de hache. La photo fait le tour du monde. En France, des milliers de militants organisent la solidarité.

De 1984 à 1988, l’archipel vit une situation révolutionnaire qui transforme durablement le pays. Le peuple kanak n’a pas la possibilité de se débarrasser militairement du colonialisme français, mais a la capacité de paralyser le pays et d’y créer un état d’insécurité permanent. Aux actions du FLNKS l’État répond par la répression et laisse faire les milices. Des dizaines de militants sont tués, des centaines emprisonnées, notamment dans ce qui est restée l’affaire de la grotte d’Ouvéa. La France est montrée du doigt à l’ONU ; l’Assemblée générale réinscrit la Nouvelle-Calédonie sur la liste des territoires à décoloniser. Désormais Kanaky est sous le regard de l’ONU, et la France doit rendre des comptes. Le FLNKS est reconnu légitime pour représenter le peuple kanak.

En 1988, puis en 1998, profitant du rapport de force créé sur le terrain, le FLNKS négocie avec la droite coloniale et l’État français des accords visant à libérer des espaces géographique, politique, économique, culturel, diplomatique, et les occuper, pour y développer des politiques préparant le pays à l’indépendance.

Les accords de Nouméa de 1998 actent, au pays, en France et devant la communauté internationale, la volonté de l’État français d’engager une politique de décolonisation, dont l’aboutissement est la pleine souveraineté. Mais surtout il est constitutionalisé. Le peule kanak est reconnu comme le poteau central de la case, ouverte aux habitant·es résident·es dans le pays depuis au moins dix ans au moment de la signature de l’accord. Ensemble, ils ont vocation à devenir les citoyens du pays souverain. Trois référendums (en 2018, en 2020, en 2022) sont organisés pour consulter les citoyens sur l’accession du pays à la pleine souveraineté. 43 % en 2018, 47 % en 2020 votent pour l’indépendance. En 2022, l’État impose la tenue du troisième référendum en pleine crise du Covid. Le peuple Kanak fortement touché enterre ses centaines de morts et boycotte à plus de 90 % le référendum. Résultat, 43 % de participation, et 96 % pour rester une colonie française.

Depuis 1998, le FLNKS est minoritaire dans les institutions (congrès, gouvernement). Il est majoritaire dans deux provinces sur trois. Dotées de compétences fortes (économie, culture), les provinces ont permis au FLNKS de mettre un pied dans les secteurs économiques stratégiques, comme le nickel, le tourisme, le transport… Mais l’essentiel de l’économie du pays demeure dans les mains de quelques familles multimillionnaires associées à des multinationales. Les partis de la droite coloniale représentent leurs intérêts. Ils utilisent le pouvoir politique qu’ils occupent au gouvernement pour mettre en œuvre un mélange de politique ultralibérale sous perfusion des euros de la mère-patrie et des euros de l’évasion fiscale grâce aux lois de défiscalisation. 

 

Croissance économique des années 2000-2010

Porté par les cours élevés du nickel et le chéquier de l’État français, le pays a connu jusqu’en 2015 un fort taux de croissance économique. Construction de deux usines métallurgiques, d’un aéroport, d’un hôpital, et de nombreuses infrastructures : routes, réseaux électriques, ville nouvelle…

La crise en France a fermé le robinet à euros, les cours du nickel se sont effondrés. Résultat : une dette abyssale, trois usines en quasi-faillite, des régimes sociaux en faillite.

En 2020, lors des élections le FLNKS gagne des sièges mais reste minoritaire au congrès. Une nouvelle force politique émerge : l’Éveil océanien, représentant la communauté wallisienne et futunienne. Wallis et Futuna est une colonie française située en Polynésie. Dans le cadre de sa politique de peuplement, l’État français a organisé la migration de milliers de personnes pour travailler dans le bâtiment, les mines, les travaux publics… Longtemps cette communauté a été utilisée comme bras armé contre les Kanak par la droite. L’Éveil océanien est l’expression de l’émancipation de la communauté, de la droite coloniale. 

En 2021, le FLNKS et l’Éveil océanien forment une majorité dite océanienne au congrès. Cette alliance compose la majorité du nouveau gouvernement présidé par Louis Mapou, militant et dirigeant historique du FLNKS. Pour la première fois depuis le gouvernement Tjibaou en 1983, les Kanak sont au pouvoir.

Depuis la formation de cette nouvelle majorité, la droite coloniale n’a cessé de se radicaliser : les grandes familles sortent leur capital, les multinationales du nickel désinvestissent en Kanaky au profit de l’Indonésie. Pour faire face à la crise covid, l’État subventionne toutes les collectivités territoriales mais impose au gouvernement de Nouvelle-Calédonie un prêt à un taux supérieur à celui du marché.

La population subit les conséquences de la crise : chômage, vie chère, services publics défaillants…

 

L’empereur Macron

En juillet 2023, Macron s’invite en Kanaky escorté par deux Rafale. Les deux avions, après avoir fait leur cirque au-dessus du pays, s’envolent en Australie pour participer à des manœuvres militaires au côté des forces de l’Otan dans le Pacifique. L’ennemi : la Chine. En Kanaky, Macron invite les Calédoniens à se joindre en allié de la France à la construction d’un axe indo-pacifique (de Mayotte à Papeete, incluant l’Inde, la Nouvelle-Zélande, l’Australie) visant à s’opposer à l’influence chinoise dans la région. Dans cette construction, le FLNKS n’apparaît pas comme un allié fiable. Dans le Pacifique, à l’ONU, il est une épine dans le pied de la diplomatie française. S’il n’y a pas de sous pour la crise du Covid en Kanaky, il y en a pour essayer de détourner les pays de la région de leur soutien au FLNKS : création d’une académie militaire, accords de coopération…

Assiégée par la droite coloniale, face à un gouvernement français déterminé dans ses visées impériales, l’alliance océanienne résiste, et depuis le gouvernement du pays essaye de prendre des mesures pour faire face à la crise. Les timides réformes fiscales qui touchent les intérêts des plus riches et du patronat, sont l’objet d’une résistance acharnée de la droite coloniale et du patronat.

En mars 2024, les patrons routiers soutenus par l’ensemble du patronat et de la droite ont bloqué les dépôts de carburant, menaçant le pays de paralysie. L’État, compétent en matière de maintien de l’ordre, a laissé faire. Les élus de droite ont quitté le congrès et le gouvernement, déclarant ces institutions qu’ils ont dirigées pendant des décennies illégitimes et antidémocratiques.

Pour faire baisser la tension, Louis Mapou a annoncé le retrait d’une taxe sur les carburants, visant à combler le déficit chronique de la production et de la distribution d’électricité, à l’origine du blocage. Malgré ce retrait, le blocage se poursuit, et la droite appelle à une marche sur le congrès. Il aura fallu la mobilisation de centaines de militant·es du FLNKS déterminé·es à faire lever les blocages, pour que les patrons routiers renvoient leurs camions au garage.

Après avoir imposé la tenue d’un référendum en pleine crise covid, avalisé le résultat malgré le boycott du peuple kanak, le gouvernement souhaite verrouiller la colonisation de Kanaky en modifiant le corps électoral, en l’ouvrant à toute personne vivant depuis au moins dix ans dans le pays, rendant les Kanak définitivement minoritaires.

 

Combattre la nouvelle loi constitutionnelle

La loi constitutionnelle, portée par le gouvernement et soutenue par la droite locale, est une rupture avec les accords passés en 1998. Elle est contraire aux nombreuses résolutions de l’ONU qui s’opposent aux politiques coloniales de peuplement.

Comme en 1983, le seul sénateur kanak élu au Sénat mène le combat pour s’opposer à cette loi. Ses amendements sont rejetés…

Les 23 et 24 mars 2024, le FLNKS a tenu son congrès, ouvert pour l’occasion à toute la mouvance indépendantiste. À l’unanimité, les 700 militant·es et délégué·es (ce qui en France correspondrait à un congrès de 140 000 personnes) présent·es ont appelé à la mobilisation contre le projet de loi constitutionnelle, en soutien au gouvernement Louis Mapou, et l’ouverture de discussions avec l’État visant à l’accession de Kanaky à la pleine souveraineté.

La politique putschiste de la droite coloniale, la passivité voire la complicité de l’État français face à ses actions et menaces, démontrent qu’il n’y a pas de place pour un territoire gouverné par les Kanak au sein de la République française. 

Jeudi 28 mars, la droite coloniale a appelé à une marche sur le congrès. Le FLNKS appelle à une marche contre la loi constitutionnelle. 

Les militants anticolonialistes, antiracistes, solidaires de la lutte des peuples pour leur libération, en Palestine en Ukraine, au Kurdistan… doivent se tenir prêts à se mobiliser en solidarité avec le peuple kanak.